La Ronde de novembre 2017

cette fois Hélène V écrit ici et moi même chez Franck B

 

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le 22 septembre [la Ronde, 15 novembre 2017]

6 heures, les matins de novembre. Tu te souviens des nuits sombres percées d’étoiles, scintillements jaunes sous la pluie — bercement des essuie-glaces. La route en rituel avec ses points d’attache, puis le brouhaha endormi dans le hall de la gare, le prolongement des rêves sur des visages blancs de fatigue qui scrutent le déroulement fluorescent des lettres et des chiffres sur un tableau noir. Train, retard 15 minutes, voie numéro 2, face à la lampisterie.

Parfois, tu croises la grande silhouette d’Alain. Il fend la foule. Sans un regard. En marchant, il parle la langue incompréhensible des fantômes, armé d’un gobelet de plastique blanc, tentant de réchauffer ses mains à la chaleur du café. Une couverture à grand carreaux sur les épaules ou sur la tête laissait dépasser quelques mèches de cheveux gris jamais peignés. La gare était, est sans doute encore, sa demeure. Il y dort, on ne sait où.

Le jour, ou le soir peut-être, il parcourt la ville, laissant sur son parcours des graphes taillés au fer des lames et des clous sur les bois abandonnés, sur les plâtres, sur le métal peint des portes des volets et des murs, dans des endroits tranquilles. Des lettres, des mots confiés au temps et à la disparition — Tu te souviens de la porte de service, aujourd’hui remplacée, de la poste centrale ? Couverte de mots, les mêmes peut-être qu’il marmonne en marchant. Manuscrits palimpsestes sur les lieux de la ville, parfois recouverts par la peinture en bombe d’autres errants nocturnes.

22 septembre, rue Sainte-Croix-des-Pelletiers. Un rayon de soleil, et tu empruntes par hasard ce hors-chemin battu — au fond, sur la rue perpendiculaire les façades bleues et jaunes, pignons sur rue si rarement sous la lumière. Alors, dans un recoin comme toujours, au milieu de la rue, à droite en venant du Vieux-Marché, tu aperçois sur la devanture de bois d’une boutique abandonnée quelques lettres bleues-ciel-de rêve, fraîchement appliquées sur le bois noirci et, par dessous, quelques lettres, dégingandées comme un autoportrait, gravées au fil du bois. Alain avait passé des heures, là. Il avait incisé des lettres et puis des mots, pour une fois lisibles, comme une lettre postée aux passants et peut-être à lui-même. Une lettre sur le fil du bois, portant sans phrase la traduction de ses murmures de mots. Les mêmes que tu n’entendais pas dans le hall de la gare.

GOUPIL

SNCF

JEAN JAURES

EPINARD

PETER PAN

des 22 septembre jamais tu ne te fous

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6 commentaires

  1. Alain, on le suit bien, à la trace pour ainsi dire ou plutôt voir. Dans la gare il est chez lui et ailleurs encore, il suit son chemin que l’on vient de croiser, avec curiosité et même sympathie. Ce qu’il grave importe peu puisqu’ainsi il existe.

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